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CONTES ET NOUVELLES.

Mal ny dégoust. La potion fut prise.
Le lendemain nostre amant se déguise,
Et s’enfarine en vray garçon Meusnier ;
Un faux menton, barbe d’estrange guise ;
Mieux ne pouvoit se metamorphoser.
Ligurio, qui de la faciende
Et du complot avoit toûjours esté
Trouve l’Amant tout tel qu’il le demande,
Et ne doutant qu’on n’y fust attrapé,
Sur le minuit la meine à Messer Nice,
Les yeux bandez, le poil teint, et si bien
Que nostre Espoux ne reconnut en rien.
Le Compagnon. Dans le lit il se glisse
En grand silence ; en grand silence aussi,
La patience attend sa destinée ;
Bien blanchement, et ce soir atournée.
Voire ce soir ? atournée ; et pour qui ?
Pour qui ? J’entends : n’est-ce pas que la Dame
Pour un Meustrier prenoit trop de soucy ?
Vous vous trompez ; le sexe en use ainsi.
Meusniers ou Roys, il veut plaire à toute ame.
C’est double honneur, ce semble, en une femme,
Quand son merite échaufffe un esprit lourd,
Et fait aimer les cœurs nez sans amour.
Le travesty changea de personnage
Si-tost qu’il eut Dame de tel corsage
A ses costez, et qu’il fut dans le lit.
Plus de Meusnier ; la Galande sentit
Auprés de soy la peau d’un honneste homme.
Et ne croyez qu’on employast au somme
De tels momens. Elle disoit tout bas :
Qu’est-cecy donc ? ce compagnon n’est pas
Tel que j’ay crû : le drole a la peau fine.
C’est grand dommage : il ne merite, helas !
Un tel destin : j’ay regret qu’au trespas
Chaque moment de plaisir l’achemine.
Tandis l’Epoux, enrollé tout de bon,
De sa moitié plaignoit bien fort la peine.