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TROISIESME PARTIE.

Et dés ce soir donner la potion.
J’en ay chez moy de la confection.
Gardez-vous bien au reste, Messer Nice,
D’aller paroistre en aucune façon.
Ligurio choisira le garçon :
C’est là son fait ; laissez-luy cet office.
Vous vous pouvez fier à ce valet
Comme à vous-mesme : il est sage et discret.
J’oublie encor que pour plus d’assurance
On bandera les yeux à ce paillard ;
Il ne sçaura qui, quoy, n’en quelle part,
N’en quel logis, ny si dedans Florence,
Ou bien dehors, on vous l’aura mené.
Par Nicia le tout fut approuvé.
Restoit sans plus d’y disposer sa femme.
De prime face elle crut qu’on rioit ;
Puis se fascha ; puis jura sur son ame
Que mille fois plustost on la tueroit.
Que diroit-on si le bruit en couroit ?
Outre l’offense et peché trop enorme,
Calfuce et Dieu sçavoient que de tout temps
Elle avoit craint ces devoirs complaisans,
Qu’elle enduroit seulement pour la forme.
Puis il viendroit quelque mastin difforme
L’incommoder, la mettre sur les dents ?
Suis-je de taille à souffrir toutes gens ?
Quoy ! recevoir un pitaut dans ma couche ?
Puis-je y songer qu’avecque du dédain ?
Et, par saint Jean, ny pitaut, ny blondin,
Ny Roy, ny Roc, ne feront qu’autre touche
Que Nicia jamais onc à ma peau.
Lucrece estant de la sorte arrestée,
On eut recours à frere Timothée :
Il la prescha ; mais si bien et si beau,
Qu’elle donna les mains par penitence.
On l’assura de plus qu’on choisiroit
Quelque garçon d’honneste corpulence,
Non trop rustaut, et qui ne luy feroit