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CONTES ET NOUVELLES.

Ce premier pas, et prendre un personnage
Lourd et de peu, mais qui ne soit pourtant
Mal fait de corps, ny par trop dégoustant,
Ny d’un touche si rude et si sauvage
Qu’à vostre femme un supplice ce soit.
Nous sçavonS bien que Madame Lucrece,
Accoustumée à la delicatesse
De Nicia, trop de peine en auroit.
Mesme il se peut qu’en venant à la chose
Jamais son cœur n’y voudroit consentir.
Or ay-je dit un jeune homme, et pour cause :
Car plus sera d’âge pour bien agir,
Moins laissera de venin, sans nul-doute :
Je vous promets qu’il n’en laissera goute.
Nice d’abord eut peine à digerer
L’expedient ; allegua le danger,
Et l’infamie ; il en seroit en peine :
Le Magistrat pourroit le rechercher
Sur le soupçon d’une mort si soudaine.
Empoisonner un de ses citadins !
Lucrece estoit échappée aux blondins,
On l’alloit mettre entre les bras d’un rustre !
Je suis d’avis qu’on prenne un homme illustre,
Dit Callimaque, ou quelqu’un qui bien-tost
En mille endroits cornera le mystere
Sottise et peur contiendront ce pitaut.
Au pis aller l’argent le fera taire.
Vostre moitié n’ayant lieu de s’y plaire,
Et le coquin mesme n’y songeant pas,
Vous ne tombez proprement dans le cas
De cocüage. Il n’est pas dit encore
Qu’un tel paillard ne resiste au poison.
Et ce nous est une double raison
De le choisir tel que la Mandragore
Consume en vain sur luy tout son venin
Car quand je dis qu’on meurt, je n’entends dire
Assurément. Il vous faudra demain
Faire choisir sur la brune le sire,