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CONTES ET NOUVELLES.

Et qu’il n’eust pris si grande confiance
En Callimaque. Un jour au compagnon
Il se plaignit de se voir sans lignée.
A qui la faute ? il estoit vert-galant,
Lucrece jeune, et drüe, et bien taillée :
Lorsque j’estois à Paris, dit l’Amant,
Un curieux y passa d’avanture.
Je l’allay voir, il m’apprit cents secrets,
Entr’autres un pour avoir geniture,
Et n’estoit chose à son conte plus seure.
Le Grand Mogol l’avoit avec succés
Depuis deux ans éprouvé sur sa femme.
Mainte Princesse, et mainte et mainte Dame
En avoit fait aussi d’heureux essais.
Il disoit vray, j’en ay vû des effets.
Cette recepte est une medecine
Faite du jus de certaine racine,
Ayant pour nom Mandragore, et ce jus
Pris par la femme opere beaucoup plus
Que ne fit onc nulle ombre Monachale
D’aucun Couvent de jeunes Freres plein.
Dans dix mois d’hui je vous fais pere enfin,
Sans demander un plus long intervalle.
Et touchez là : dans dix mois et devant
Nous porterons au baptesme l’enfant.
Dites-vous vray ? repartit Messer Nice.
Vous me rendez un merveilleux office.
Vray ? je l’ay vû ; faut-il repeter tant ?
Vous moquez-vous d’en douter seulement ?
Par vostre foy, le Mogor[1] est-il homme
Que l’on osast de la sorte affronter ?
Ce Curieux en toucha telle somme
Qu’il n’eut sujet de s’en mécontenter.
Nice reprit : Voila chose admirable !
Et qui doit estre à Lucrece agreable !
Quand luy verray-je un poupon sur le sein ?

  1. Ainsi dans l’édition de 1671,Mogol, dans celle de 1685.