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CONTES ET NOUVELLES.

Au progrés de ses ans reglant en ce sejour
La nourriture de son ame.
A cinq il luy nomma des fleurs, des animaux,
L’entretint de petits oyseaux ;
Et parmy ce discours aux enfans agreable,
Mesla des menaces du diable ;
Luy dit qu’il estoit fait d’une étrange façon :
La crainte est aux enfans la premiere leçon.
Les dix ans expirez, matiere plus profonde
Se mit sur le tapis : un peu de l’autre monde
Au jeune enfant fut revelé,
Et de la femme point parlé.
Vers quinze ans luy fut enseigné,
Tout autant que l’on put, l’Auteur de la nature,
Et rien touchant la creature.
Ce propos n’est alors déja plus de saison
Pour ceux qu’au monde on veut soustraire ;
Telle idée en ce cas est fort peu necessaire.
Quand ce fils eut vingt ans, son pere trouva bon
De le mener à la Ville prochaine.
Le Vieillard tout cassé ne pouvoit plus qu’à peine
Aller querir son vivre : et luy mort, aprés tout,
Que feroit ce cher fils ? comment venir à bout
De subsister sans connoistre personne ?
Les loups n’estoient pas gens qui donnassent l’aumône.
Il sçavoit bien que le garçon
N’auroit de luy, pour heritage
Qu’une besace et qu’un bâton :
C’estoit un étrange partage.
Le pere à tout cela songeoit sur ses vieux ans.
Au reste il estoit peu de gens
Qui ne luy donnassent la miche.
Frere Philippe eust esté riche
S’il eust voulu. Tous les petits enfans
Le connoissoient, et du haut de leur teste,
Ils crioient : Aprestez la queste ;
Voila Frere Philippe. Enfin dans la cité
Frere Philippe souhaité