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TROISIESME PARTIE.

On l’avoit dés l’enfance élevé dans un bois.
Là son unique compagnie
Consistoit aux oyseaux : leur aimable harmonie
Le desennuyoit quelquesfois.
Tout son plaisir estoit cet innocent ramage :
Encor ne pouvoit-il entendre leur langage.
En une école si sauvage
Son pere l’amena dés ses plus tendres ans.
Il venoit de perdre sa mere,
Et le pauvre garçon ne connut la lumiere
Qu’afin qu’il ignorast les gens :
Il ne s’en figura pendant un fort long-temps
Point d’autres que les habitans
De cette forest ; c’est à dire
Que des loups, des oyseaux, enfin ce qui respire
Pour respirer sans plus, et ne songer à rien.
Ce qui porta son pere à fuir tout entretien,
Ce furent deux raisons ou mauvaises ou bonnes ;
L’une, la haine des personnes,
L’autre la crainte ; et depuis qu’à ses yeux
Sa femme disparut s’envolant dans les Cieux,
Le monde luy fut odieux ;
Las d’y gémir et de s’y plaindre,
Et par tout des plaintes oüir,
Sa moitie le luy fit par son trépas haïr,
Et le reste des femmes craindre.
Il voulut estre hermite, et destina son fils
A ce mesme genre de vie.
Ses biens aux pauvres départis,
Il s’en va seul, sans compagnie
Que celle de ce fils, qu’il portoit dans ses bras :
Au fonds d’une forest il arreste ses pas.
(Cet homme s’appelloit Philippe, dit l’histoire.)
Là, par un saint motif, et non par humeur noire,
Nostre Hermite nouveau cache avec trés-grand soin
Cent choses à l’enfant ; ne luy dit prés ny loin
Qu’il fust au monde aucune femme,
Aucuns desirs, aucun amour ;