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CONTES ET NOUVELLES.

Les ayant rencontrez, ils cedoient à la force,
Quand nostre avanturier fit un dernier effort,
Repoussa les Brigands, receut une blessure
Qui le mit dans la sepulture,
Non sur le champ ; devant sa mort
Il pourveut à la Belle, ordonna du voyage,
En chargea son neveu, jeune homme de courage,
Luy leguant par mesme moyen
Le surplus des faveurs, avec son équipage
Et tout le reste de son bien.
Quand on fut revenu de toutes ces alarmes,
Et que l’on eut versé certain nombre de larmes,
On satisfit au Testament du mort ;
On paya les faveurs, dont enfin la derniere
Escheut justement sur le bord
De la frontiere.
En cet endroit le neveu la quitta,
Pour ne donner aucun ombrage,
Et le Gouverneur la guida
Pendant le reste du voyage.
Au Soudan il la presenta.
D’exprimer icy la tendresse,
Ou pour mieux dire les transports,
Que témoigna Zaïr en voyant la Princesse,
Il faudroit de nouveaux efforts,
Et je n’en puis plus faire : il est bon que j’imite
Phoebus, qui sur la fin du jour
Tombe d’ordinaire si court
Qu’on diroit qu’il se precipite.
Le Gouverneur aymoit à se faire écouter ;
Ce fut un passe-temps de l’entendre conter
Monts et merveilles de la Dame,
Qui rioit sans doute en son ame.
Seigneur, dit le bon Homme en parlant au Soudan,
Hispal estant party, Madame incontinent,
Pour fuir oisiveté, principe de tout vice,
Resolut de vacquer nuit et jour au service
D’un Dieu qui chez ces gens a beancoup de credit.