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CONTES ET NOUVELLES.

Rien ne couste en amour que la premiere peine.
Si les arbres parloient, il feroit bel oüir
Ceux de ce bois ; car la forest n’est pleine
Que des monumens amoureux
Qu’Hispal nous a laissez, glorieux de sa proye.
On y verroit écrit : Icy pasma de joye
Des mortels le plus heureux :
Là mourut un Amant sur le sein de sa Dame,
En cet endroit, mille baisers de flâme
Furent donnez, et mille autres rendus.
Le parc diroit beaucoup, le chasteau beaucoup plus,
Si Chasteaux avoient une langue.
La chose en vint au poinct que, las de tant d’amour,
Nos Amans à la fin regretterent la Cour.
La Belle s’en ouvrit, et voicy sa harangue :
 
Vous m’estes cher, Hispal : j’aurois du déplaisir
Si vous ne pensiez pas que toûjours je vous ayme.
Mais qu’est-ce qu’un amour sans crainte et sans desir ?
Je vous le demande à vous-mesme.
Ce sont des feux bien-tost passez,
Que ceux qui ne sont point dans leur cours traversez :
Il y faut un peu de contrainte.
Je crains fort qu’à la fin ce sejour si charmant
Ne nous soit un desert, et puis un monument ;
Hispal, ostez-moy cette crainte.
Allez vous en voir promptement,
Ce qu’on croira de moy dedans Alexandrie
Quand on sçaura que nous sommes en vie.
Déguisez bien nostre sejour :
Dites que vous venez preparer mon retour,
Et faire qu’on m’envoye une escorte si seure,
Qu’il n’arrive plus d’avanture.
Croyez-moy, vous n’y perdrez rien :
Trouvez seulement le moyen,
De me suivre en ma destinée
Ou de fillage, ou d’Hymenée,