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CONTES ET NOUVELLES.

A tous ces discours la Galande
Ne s’arrestoit aucunement,
Et de Sermons n’estoit friande
A moins qu’ils fussent d’un Amant.
Cela faisoit que le bon sire
Ne sçavoit tantost plus qu’y dire ;
Eust voulu souvent estre mort.
Il eut pourtant dans son martyre
Quelques momens de reconfort :
L’histoire en est trés-veritable.
Une nuit qu’ayant tenu table,
Et bû force bon vin nouveau,
Carvel ronfloit prés de Babeau,
Il luy fut avis que le diable
Luy mettoit au doigt un anneau,
Qu’il luy disoit : Je sçais la peine
Qui te tourmente et qui te gesne,
Carvel, j’ay pitié de ton cas ;
Tien cette bague et ne la lâches,
Car tandis qu’au doigt tu l’auras,
Ce que tu crains point ne seras,
Point ne seras sans que le sçaches.
Trop ne puis vous remercier,
Dit Carvel, la faveur est grande.
Monsieur Satan, Dieu vous le rende,
Grandmercy Monsieur l’Aumônier.
Là dessus achevant son somme,
Et les yeux encore aggravez,
Il se trouva que le bon homme
Avoit le doigt où vous sçavez.