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DEUXIESME PARTIE.

Mais aux baisers que de la pauvre femme
Je recevray, ne craignant qu’un seul poinct,
C’est qu’à me voir de joye elle ne meure.
On fait venir l’Epouse tout à l’heure,
Qui froidement et ne s’émouvant point,
Devant ses yeux voit son mary paroistre,
Sans témoigner seulement le connoistre,
Non plus qu’un homme arrivé du Perou.
Voyez, dit-il, la pauvrette est honteuse
Devant les gens ; et sa joye amoureuse
N’ose éclater : soyez seur qu’à mon cou,
Si j’estois seul, elle seroit sautée.
Pagamin dit : Qu’il ne tienne à cela ;
Dedans sa chambre allez, conduisez-la.
Ce qui fut fait, et la chambre fermée,
Richard commence : Et là, Bartholomée,
Comme tu fais ! je suis ton Quinzica,
toûjours le mesme à l’endroit de sa femme.
Regarde-moy. Trouves-tu, ma chere ame,
En mon visage un si grand changement !
C’est la douleur de ton enlevement
Qui me rend tel, et toy seule en es cause
T’ay-je jamais refusé nulle chose,
Soit pour ton jeu, soit pour tes vestemens ?
En estoit-il quelqu’une de plus brave ?
De ton vouloir ne me rendois-je esclave ?
Tu le seras estant avec ces gens.
Et ton honneur, que crois-tu qu’il devienne ?
Ce qu’il pourra, repondit brusquement
Bartholomée. Est-il temps maintenant
D’en avoir soin ? s’en est-on mis en peine
Quand malgré moy l’on m’a jointe avec vous ?
Vous vieux penard, moy fille jeune et drüe
Qui meritois d’estre un peu mieux pourveüe,
Et de gouster ce qu’Hymen a de doux.
Pour cet effet j’estois assez aimable,
Et me trouvois aussi digne, entre nous,
De ces plaisirs, que j’en estois capable.