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DEUXIESME PARTIE.

Et trouveroit la meilleure avanture
Dedans sa pesche, et n’avoient avec eux,
Dans chaque barque, en tout qu’un homme ou deux.
Certain Corsaire apperceut la chaloupe
De notre Epouse, et vint avec sa troupe
Fondre dessus, l’emmena bien et beau ;
Laissa Richard : soit que prés du rivage
Il n’osast pas hazarder davantage ;
Soit qu’il craignist qu’ayant dans son vaisseau
Nostre Vieillard, il ne pût de sa proye
Si bien joüir ; car il aimoit la joye
Plus que l’argent, et toûjours avoit fait
Avec honneur son mestier de Corsaire ;
Au jeu d’Amour estoit homme d’effet,
Ainsi que sont gens de pareille affaire.
Gens de mer sont toûjours prests à bien faire,
Ce qu’on appelle autrement bons garçons :
On n’en voit point qui les festes allegue.
Or tel estoit celuy dont nous parlons,
Ayant pour nom Pagamin de Monegue.
La Belle fit son devoir de pleurer
Un demy jour, tant qu’il se put étendre :
Et Pagamin de la reconforter,
Et nostre Epouse à la fin de se rendre.
Il la gagna ; bien sçavoit son mestier.
Amour s’en mit, Amour ce bon apôtre,
Dix mille fois plus Corsaire que l’autre,
Vivant de rapt, faisant peu de quartier.
La Belle avoit sa rançon toute preste :
Trés-bien luy prit d’avoir dequoy payer ;
Car là n’estoit ny vigile ny Feste.
Elle oublia ce beau Calendrier
Rouge par tout[1], et sans nul jour ouvrable :
De la ceinture on le luy fit tomber ;
Plus n’en fut fait mention qu’à la table.

  1. Les jours de fête sont imprimés en encre rouge dans les anciens calendriers.