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CONTES ET NOUVELLES.

Ce luy sembloit ; suit le fil dans la ruë ;
Conclud de là que l’on le trahissoit ;
Que quelque Amant que la Donzelle avoit,
Avec ce fil par le pied la tiroit,
L’avertissant ainsi de sa venuë :
Que la Galande aussi-tost descendoit,
Tandis que luy pauvre mary dormoit.
Car autrement pourquoy ce badinage ?
Il faloit bien que Messer cocuage
Le visitast ; honneur dont à son sens
Il se seroit passé le mieux du monde.
Dans ce penser il s’arme jusqu’aux dents ;
Hors la maison fait le guet et la ronde,
Pour attraper quiconque tirera
Le brin de fil. Or le Lecteur sçaura
Que ce logis avoit sur le derriere
Dequoy pouvoir introduire l’amy :
Il le fut donc par une Chambriere.
Tout domestique en trompant un mary
Pense gagner indulgence pleniere.
Tandis qu’ainsi Berlinguier fait le guet,
La bonne Dame et le jeune Muguet
En sont aux mains, et Dieu sçait la maniere.
En grand soulas cette nuit se passa.
Dans leurs plaisirs rien ne les traversa.
Tout fut des mieux graces à la Servante,
Qui fit si bien devoir de surveillante,
Que le Galant tout à temps délogea.
L’Epoux revint quand le jour approcha ;
Reprit sa place, et dit que la migraine
L’avoit contraint d’aller coucher en haut.
Deux jours aprés la Commere ne faut
De mettre un fil ; Berlinguier aussi-tost,
L’ayant senty, rentre en la mesme peine,
Court à son poste, et nostre Amant au sien.
Renfort de joye : on s’en trouva si bien,
Qu’encor un coup on pratiqua la ruse ;
Berlinguier, prenant la mesme excuse,