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CONTES ET NOUVELLES.

On la retient ; avec peine pourtant :
Belle servante, et mary vert Galant,
C’estoit matiere à feindre du scrupule.
Les premiers jours le mary dissimule,
Détourne l’œil, et ne fait pas semblant
De regarder sa Servante nouvelle :
Mais tost aprés il tourna tant la Belle,
Tant luy donna, tant encor luy promit,
Qu’elle feignit à la fin de se rendre ;
Et de jeu fait, à dessein de le prendre,
Un certain soir la Galande luy dit :
Madame est mal, et seule elle veut estre
Pour cette nuit. Incontinent le Maistre
Et la Servante ayant fait leur marché,
S’en vont au lit, et le Drosle couché,
Elle en cornette et dégrafant sa jupe,
Madame vient : qui fut bien empêché,
Ce fut l’Epoux, cette fois pris pour dupe.
Oh, oh, luy dit la Commere en riant,
Vostre ordinaire est donc trop peu friand
A vostre goust ; et par saint Jean, beau Sire,
Un peu plûtost vous me le deviez dire :
J’aurois chez moy toûjours eu des tendrons.
De celuy-cy pour certaines raisons[1]
Vous faut passer ; cherchez autre avanture.
Et vous, la Belle au dessein si gaillard,
Mercy de moy, Chambriere d’un liard,
Je vous rendray plus noire qu’une meure.
Il vous faut donc du mesme pain qu’à moy !
J’en suis d’avis ; non pourtant qu’il m’en chaille,
Ny qu’on ne puisse en trouver qui le vaille :
Graces à Dieu, je crois avoir dequoy
Donner encore à quelqu’un dans la veuë ;
Je ne suis pas à jetter dans la ruë.
Laissons ce poinct ; je sçais un bon moyen :

  1. Édition de 1685 :
    De celle-ci pour certaines raisons.