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LIVRE DEUXIÉME.

Un certain homme avoit trois filles,
Toutes trois de contraire humeur.
Une buveuse, une coquette,
La troisième avare parfaite.
Cét Homme par son testament,
Selon les Loix municipales,
Leur laissa tout son bien par portions égales,
En donnant à leur Mere tant ;
Payable quand chacune d’elles
Ne possederoit plus sa contigente part.
Le Pere mort, les trois femelles
Courent au testament sans attendre plus tard.
On le lit ; on tâche d’entendre
La volonté du Testateur,
Mais en vain : car comment comprendre
Qu’aussi-tost que chacune sœur
Ne possedera plus sa part hereditaire,
Il luy faudra payer sa Mere ?
Ce n’est pas un fort bon moyen
Pour payer, que d’estre sans bien.
Que vouloit donc dire le Pere ?
L’affaire est consultée ; et tous les Advocats
Apres avoir tourné le cas
En cent et cent mille manieres
Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus,
Et conseillent aux heritieres
De partager le bien sans songer au surplus.
Quant à la somme de la veuve,
Voicy, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve :
Il faut que chaque sœur se charge par traité
Du tiers payable à volonté ;
Si mieux n’aime la Mere en créer une rente
Dés le decés du mort courante.
La chose ainsi reglée, on composa trois lots.
En l’un les maisons de bouteille,
Les buffets dressez sous la treille,
La vaisselle d’argent, les cuvettes, les brocs,
Les magasins de malvoisie,