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FABLES CHOISIES.

Adieu, dit le Renard : ma traite est longue à faire.
Nous nous réjoüirons du succés de l’affaire
Une autre fois. Le galand aussi-tost
Tire ses gregues, gagne au haut,
Mal-content de son stratagême ;
Et nostre vieux Coq en soy-mesme
Se mit à rire de sa peur ;
Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.




XVI.
LE CORBEAU VOULANT IMITER
L’AIGLE.



L’Oyseau de Jupiter enlevant un Mouton,
Un Corbeau témoin de l’affaire,
Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l’heure autant faire.
Il tourne à l’entour du troupeau ;
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vray Mouton de sacrifice.
On l’avoit réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau disoit, en le couvrant des yeux,
Je ne sçay qui fut ta nourrice ;
Mais ton corps me paroist en merveilleux estat.
Tu me serviras de pâture.
Sur l’animal beslant à ces mots il s’abat.
La Moutonniere creature
Pesoit plus qu’un fromage ; outre que sa toison
Estoit d’une épaisseur extrême,
Et mêlée à peu prés de la mesme façon
Que la barbe de Polipheme.
Elle empestra si bien les serres du Corbeau,