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LIVRE DEUXIÉME.

Qu’est-ce que le hazard parmy l’antiquité,
Et parmy nous, la Providence ?
Or du hazard il n’est point de science.
S’il en estoit, on auroit tort
De l’appeller hazard, ny fortune, ny sort,
Toutes choses tres-incertaines.
Quant aux volontez souveraines
De celuy qui fait tout, et rien qu’avec dessein,
Qui les sçait que luy seul ? Comment lire en son sein ?
Auroit-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
A quelle utilité ? Pour exercer l’esprit
De ceux qui de la Sphere et du Globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inêvitables ?
Nous rendre dans les biens de plaisir incapables ?
Et causant du dégoust pour ces biens prévenus
Les convertir en maux devant qu’ils soient venus ?
C’est erreur, ou plustost c’est crime de le croire.
Le Firmament se meut ; les Astres font leur cours ;
Le Soleil nous luit tous les jours ;
Tous les jours sa clarté succede à l’ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inferer
Que la necessité de luire et d’éclairer,
D’amener les saisons, de meurir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoy répond au sort toûjours divers
Ce train toûjours égal dont marche l’Univers ?
Charlatans, faiseurs d’horoscope,
Quittez les Cours des Princes de l’Europe :
Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps.
Vous ne meritez pas plus de foy que ces gens.
Je m’emporte un peu trop ; revenons à l’histoire
De ce Speculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C’est l’image de ceux qui baaillent aux chimeres,
Cependant qu’ils sont en danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.