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LIVRE DEUXIÉME.

Tantost picque l’échine, et tantost le museau,
Tantost entre au fond du nazeau.
La rage alors se trouve à son faiste montée.
L’invisible ennemy triomphe et rit de voir
Qu’il n’est griffe, ny dent en la beste irritée,
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le mal-heureux Lion se déchire luy-mesme,
Fait resonner sa queuë à l’entour de ses flancs,
Bat l’air qui n’en peut mais, et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ; le voila sur les dents.
L’insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire ;
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée.
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut estre enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis,
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre qu’aux grands perils tel a pu se soustraire,
Qui perit pour la moindre affaire.




X.
L’ASNE CHARGÉ D’ÉPONGES,
ET L’ASNE CHARGÉ DE SEL.



Ln Asnier, son Sceptre à la main,
Menoit en Empereur Romain
Deux Coursiers à longues oreilles.
L’un d’éponges chargé marchoit comme un Courier ;
Et l’autre se faisant prier
Portoit, comme on dit, les bouteilles.
Sa charge estoit de sel. Nos gaillards pelerins