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FABLES CHOISIES.

Apres dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avoient lassé les Grecs, qui par mille moyens,
Par mille assauts, par cent batailles,
N’avoient pû mettre à bout cette fiere cité :
Quand un cheval de bois par Minerve inventé
D’un rare et nouvel artifice,
Dans ses énormes flancs receut le Sage Ulysse,
Le vaillant Diomede, Ajax l’impetueux,
Que ce Colosse monstrueux
Avec leurs escadrons devoit porter dans Troye,
Livrant à leur fureur ses Dieux mesmes en proye.
Stratagême inoüy qui des fabriquateurs
Paya la constance et la peine.
C’est assez, me dira quelqu’un de nos Auteurs :
La periode est longue, il faut reprendre haleine.
Et puis vostre Cheval de bois,
Vos Heros avec leurs Phalanges,
Ce sont des contes plus étranges,
Qu’un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix.
De plus il vous sied mal d’écrire en si haut stile.
Et bien, baissons d’un ton. La jalouse Amarille
Songeoit à son Alcippe, et croyoit de ses soins
N’avoir que ses Moutons et son Chien pour témoins.
Tircis qui l’apperceut, se glisse entre des saules,
Il entend la Bergere adressant ces paroles
Au doux Zephire, et le priant
De les porter à son Amant.
Je vous arreste à cette rime,
Dira mon Censeur à l’instant.
Je ne la tiens pas legitime,
Ny d’une assez grande vertu.
Remettez pour le mieux ces deux vers à la fonte.
Maudit Censeur, te tairas-tu ?
Ne sçaurois-je achever mon conte ?
C’est un dessein tres-dangereux
Que d’entreprendre de te plaire.
Les delicats sont mal-heureux ;
Rien ne sçauroit les satisfaire.