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LIVRE PREMIER.


XVIII.
LE RENARD ET LA CIGOGNE.



Compere le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à disner commere la Cigogne.
Le régal fut petit, et sans beaucoup d’apprest ;
Le galand pour toute besogne
Avoit un brouët clair (il vivoit chichement).
Ce brouët fut par luy servy sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en pût attraper miette ;
Et le drosle eut lappé le tout en un moment.
Pour se vanger de cette tromperie,
A quelque-temps de là la Cigogne le prie.
Volontiers, luy dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point ceremonie.
A l’heure dite il courut au logis
De la Cigogne son hostesse,
Loüa tres-fort la politesse[1],
Trouva le disner cuit à point.
Bon appetit sur tout ; Renards n’en manquent point.
Il se réjoüissoit à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyoit friande.
On servit, pour l’embarasser
En un vase à long col, et d’étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvoit bien passer,
Mais le museau du Sire estoit d’autre mesure.
Il luy falut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu’une Poule auroit pris,
Serrant la queuë, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris,
Attendez-vous à la pareille.

  1. Sa politesse dans l’édition de 1668.