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LIVRE PREMIER.

L’Athlete avoit promis d’en payer un talent :
Mais quand il le vid, le galand
N’en donna que le tiers, et dit fort franchement
Que Castor et Pollux acquittassent le reste.
Faîtes-vous contenter par ce couple celeste.
Je vous veux traiter cependant.
Venez souper chez moy, nous ferons bonne vie.
Les conviez sont gens choisis,
Mes parens, mes meilleurs anis.
Soyez donc de la compagnie.
Simonide promit. Peut-estre qu’il eut peur
De perdre outre son deû le gré de sa loûange.
Il vient, l’on festine, l’on mange.
Chacun estant en belle humeur,
Un domestique accourt, l’avertit qu’à la porte
Deux hommes demandoient à le voir promptement.
Il sort de table, et la cohorte
N’en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes estoient les gemeaux de l’éloge.
Tous deux luy rendent grace, et pour prix de ses vers
Ils l’avertissent qu’il déloge,
Et que cette maison va tomber à l’envers.
La prediction en fut vraye ;
Un pilier manque : et le platfonds,
Ne trouvant plus rien qui l’estaye,
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N’en fait pas moins aux échansons.
Ce ne fut pas le pis ; car pour rendre complete
La vengeance deuë au Poëte,
Une poutre cassa les jambes à l’Athlete,
Et renvoya les conviez
Pour la plus part estropiez.
La renommée eut soin de publier l’affaire.
Chacun cria miracle ; on doubla le salaire
Que meritoient les vers d’un homme aimé des Dieux.
Il n’estoit fils de bonne mere
Qui les payants à qui mieux mieux
Pour ses ancestres n’en fît faire.