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LIVRE PREMIER.

Nostre prince a des dépendans
Qui de leur Chef sont si puissans,
Que chacun d’eux pourroit soudoyer une armée.
Le Chiaoux homme de sens,
Luy dit : Je sçais par renommée
Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D’une avanture estrange, et qui pourtant est vraye.
J’estois en un lieu seur, lors que je vis passer
Les cent testes d’une Hydre au travers d’une haye.
Mon sang commence à se glacer,
Et je crois qu’à moins on s’effraye.
Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal.
Jamais le corps de l’animal
Ne pût venir vers moy, ny trouver d’ouverture.
Je resvois à cette avanture,
Quand un autre Dragon qui n’avoit qu’un seul chef,
Et bien plus d’une queuë, à passer se presente.
Me voila saisi derechef
D’estonnement et d’épouvante.
Ce chef passe, et le corps, et chaque queuë aussi.
Rien de les empescha ; l’un fit chemin à l’autre.
Je soûtiens qu’il en est ainsi
De vostre Empereur et du nostre.




XIII.
LES VOLEURS ET L’ASNE.



Pour un Asne enlevé deux voleurs se battoient :
L’un vouloit le garder ; l’autre le vouloit vendre.
Tandis que coups de poin trotoient,
Et que nos champions songeoient à se défendre,
Arrive un troisiéme larron,
Qui saisit Maistre Aliboron.