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LIVRE PREMIER.

Et que la faim en ces lieux attiroit.
Qui te rend si hardy de troubler mon breuvage ?
Dit cét animal plein de rage :
Tu seras chastié de ta temerité.
Sire, répond l’Agneau, que vostre Majesté
Ne se mette pas en colere ;
Mais plûtost qu’elle considere
Que je me vas desalterant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;
Et que par consequent en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles, reprit cette beste cruelle,
Et je sçais que de moy tu médis l’an passé.
Comment l’aurois-je fait si je n’estois pas né ?
Reprit l’Agneau, je tete encor ma mere.
Si ce n’est toy, c’est donc ton frere.
Je n’en ay point. C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guere,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me vange.
Là dessus au fond des forests
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procez.




XI.
L’HOMME ET SON IMAGE.
Pour M. L. D. D. L. R.[1]



Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux[2],
Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde.
Il accusoit toûjours les miroirs d’estre faux ;

La Fontaine. — I.
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  1. Le duc de La Rochefoucauld qui avoit déja publié la 2e  édition de ses Maximes quand cette fable parut.
  2. Vers imité d’Horace, Art. poét. 444.
    Quin sinè rivali teque et tua solus amares.