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LA VIE

Esope : car la nuit derniere il luy a étranglé un Coq extrémement courageux, et qui chantoit à toutes les heures. Vous estes un menteur, repartit le Roy ; comment seroit-il possible que ce chat eust fait en si peu de temps un si long voyage ? Et comment est-il possible, reprit Esope, que vos Jumens entendent de si loin nos Chevaux hannir, et conçoivent pour les entendre ? En suite de cela le Roy fit venir d’Heliopolis certains personnages d’esprit subtil, et sçavans en questions Enigmatiques. Il leur fit un grand Regal où le Phrysien fut invité. Pendant le Repas ils proposerent à Esope diverses choses ; celle-cy entr’autres. Il y a un grand Temple qui est appuyé sur une Colomne entourée de douze Villes, chacune desquelles a trente Arcboutans, et autour de ces Arcboutans se promenent l’une aprés l’autre deux Femmes, l’une blanche, l’autre noire. Il faut renvoyer, dit Esope, cette question aux petits enfans de nostre païs. Le Temple est le Monde, la Colomne l’An, les Villes ce sont les Mois, et les Arcboutans les Jours, autour desquels se promenent alternativement le Jour et la Nuit. Le lendemain Nectenabo assembla tous ses amis. Souffrirez-vous, leur dit-il, qu’une moitié d’homme, qu’un avorton soit la cause que Lycerus remporte le prix, et que j’aye la confusion pour mon partage ? Un d’eux s’avisa de demander à Esope qu’il leur fist des questions de choses dont ils n’eussent jamais entendu parler. Esope écrivit une cedule par laquelle Nectenabo confessoit devoir deux mille talens à Lycerus. La Cedule fut mise entre les mains de Nectenabo toute cachetée. Avant qu’on l’ouvrist, les amis du Prince soûtinrent que la chose contenuë dans cet écrit estoit de leur connoissance. Quand on l’eut ouverte, Nectenabo s’écria : Voila la plus grande fausseté du monde : Je vous en prens à témoin tous tant que vous estes. Il est vray, repartirent-ils, que nous n’en avons jamais entendu parler. J’ay donc satisfait à vostre demande, reprit Esope. Nectenabo le renvoya com-