Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
382
FABLES CHOISIES.

L’on ne le peut qu’aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien, est une erreur extrême.
Troublez l’eau ; vous y voyez-vous ?
Agitez celle-ci. Comment nous verrions-nous ;
La vase est un épais nuage
Qu’aux effets du cristal nous venons d’opposer.
Mes Freres, dit le Saint, laissez la reposer ;
Vous verrez alors vôtre image.
Pour vous mieux contempler demeurez au desert[1].
Ainsi parla le Solitaire.
Il fut crû, l’on suivit ce conseil salutaire.
Ce n’est pas qu’un emploi ne doive être souffert.
Puisqu’on plaide et qu’on meurt, et qu’on devient malade,
Il faut des Medecins, il faut des Avocats.
Ces secours, grace à Dieu, ne nous manqueront pas ;
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.
Cependant on s’oublie en ces communs besoins[2].
O vous dont le Public emporte tous les soins,
Magistrats, Princes, et Ministres,
Vous que doivent troubler mille accidens sinistres,
Que le malheur abbat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voïez point, vous ne voïez personne.
Si quelque bon moment à ces pensers vous donne,
Quelque flateur vous interrompt.
Cette leçon sera la fin de ces Ouvrages :
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !
Je la presente aux Rois, je la propose aux Sages ;
Par où sçaurois-je mieux finir ?

  1. Habitez un lieu coy, dans le Recueil de vers choisis.
    Pour mieux vous contenter habitez un lieu coy.
    (Œuvres postumes.)
  2. On lit dans le Recueil de vers choisis et Les Œuvres postumes, au lieu de ces six derniers vers :
    Ce n’est pas que chacun doive fuir tout employ,
    Puis qu’on plaide et qu’on meurt, il faut qu’on se propose
    D’avoir des Appointeurs, et d’autres gens aussi
    On n’en manque pas, Dieu merci.
    L’ambition d’agir, et l’or sur toute chose,
    N’en font naître que trop pour les communs besoins.