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LIVRE DOUZIÉME.

Mais je vous suis trop odieux,
Et ne m’étonne pas qu’ainsi que tout le reste
Vous me refusiez même un plaisir si funeste.
Mon pere aprés ma mort, et je l’en ai chargé,
Doit mettre à vos pieds l’heritage
Que vôtre cœur a negligé.
Je veux que l’on y joigne aussi le pâturage,
Tous mes troupeaux, avec mon chien,
Et que du reste de mon bien
Mes Compagnons fondent un Temple,
Où vôtre image se contemple,
Renouvellans de fleurs l’Autel à tout moment ; ’
J’aurai près de ce Temple un simple monument ;
On gravera sur la bordure :
Daphnis mourut d’amour ; Passant arrête-toi :
Pleure, et di : Celui-ci succomba sous la loi
De la cruelle Alcimadure.
A ces mots par la Parque il se sentit atteint ;
Il auroit poursuivi, la douleur le prévint :
Son Ingrate sortit triomphante et parée.
On voulut, mais en vain, l’arrêter un moment,
Pour donner quelques pleurs au sort de son Amant.
Elle insulta toûjours au fils de Cytherée,
Menant dés ce soir même, au mépris de ses Loix,
Ses Compagnes danser autour de sa Statuë ;
Le Dieu tomba sur elle, et l’accabla du poids ;
Une voix sortit de la nuë ;
Echo redit ces mots dans les airs épandus :
Que tout aime à présent, l’insensible n’est plus.
Cependant de Daphnis l’Ombre au Styx descenduë
Frémit, et s’étonna, la voïant accourir.
Tout l’Erebe entendit cette Belle homicide
S’excuser au Berger, qui ne daigna l’ouïr,
Non plus qu’Ajax Ulysse, et Didon son perfide.