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LIVRE DOUZIÉME.




FABLE XXIII.
LE RENARD ANGLOIS.


A MADAME HERVAY.



Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens.
Avec cent qualitez trop longues à déduire,
Une noblesse d’ame, un talent pour conduire
Et les affaires et les gens.
Une humeur franche et libre, et le don d’être amie
Malgré Jupiter même, et les temps orageux.
Tout cela meritoit un éloge pompeux ;
Il en eût été moins selon vôtre genie ;
La pompe vous déplaît, l’éloge vous ennuie ;
J’ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux
Y coudre encore un mot ou deux
En faveur de vôtre Patrie :
Vous l’aimez. Les Anglois pensent profondément,
Leur esprit en cela suit leur tamperamment.
Creusant dans les sujets, et forts d’experiences,
Ils étendent par tout l’empire des Sciences.
Je ne dis point ceci pour vous faire ma Cour.
Vos gens à penetrer l’emportent sur les autres :
Même les Chiens de leur séjour
Ont meilleur nez que n’ont les nôtres.
Vos Renards sont plus fins. Je m’en vais le prouver
Par un d’eux qui pour se sauver
Mit en usage un stratagême
Non encore pratiqué ; des mieux imaginez.
Le scelerat réduit en un péril extrême,
Et presque mis à bout par ces Chiens au bon nez,
Passa prés d’un patibulaire.