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FABLES CHOISIES.

Vous connoissez ces lieux, ils ont quelque renom.
Vraiment je suis ravi d’en apprendre le nom,
Repartit Maître Gille ; on ne s’entretient guere
De semblables sujets dans nos vastes Lambris.
L’Elephant honteux et surpris
Lui dit, Et parmi nous que venez-vous donc faire ?
Partager un brin d’herbe entre quelques Fourmis.
Nous avons soin de tout : Et quant à vôtre affaire,
On n’en dit rien encor dans le conseil des Dieux.
Les petits et les grands sont égaux à leurs yeux.




FABLE XXII.
UN FOU ET UN SAGE.



Certain Fou poursuivoit à coups de pierre un Sage.
Le Sage se retourne, et lui dit, Mon ami,
C’est fort bien fait à toi ; reçois cet écu-ci :
Tu fatigues assez pour gagner davantage.
Toute peine, dit-on, est digne de loïer.
Voi cet homme qui passe, il a dequoi païer ;
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.
Amorcé par le gain, nôtre Fou s’en va faire
Même insulte à l’autre Bourgeois.
On ne le païa pas en argent cette fois.
Maint Estafier accourt : on vous happe nôtre homme,
On vous l’échine, on vous l’assomme.

Auprés des Rois il est de pareils fous.
A vos dépens ils font rire le Maître.
Pour reprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter ? vous n’etes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
A s’addresser à qui peut se vanger.