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LIVRE DOUZIÉME.

C’est un Mortel qui sçait mettre sa vie
Pour son ami. J’en vois peu de si bons.
Quatre animaux vivans de compagnie
Vont aux humains en donner des leçons.

La Gazelle, le Rat, le Corbeau, la Tortuë,
Vivoient ensemble unis ; douce société.
Le choix d’une demeure aux humains inconnuë
Assuroit leur felicité.
Mais quoi, l’homme découvre enfin toutes retraites.
Soïez au milieu des deserts,
Au fond des eaux, au haut des airs,
Vous n’éviterez point ses embûches secretes.
La Gazelle s’alloit ébatre innocemment,
Quand un chien, maudit instrument
Du plaisir barbare des hommes,
Vint sur l’herbe éventer les traces de ses pas.
Elle fuit, et le Rat à l’heure du repas
Dit aux amis restans, D’où vient que nous ne sommes
Aujourd’hui que trois conviez ?
La Gazelle déja nous a-t-elle oubliez ?
A ces paroles la Tortue
S’écrie, et dit, Ah ! si j’étois
Comme un Corbeau d’aîles pourvûë,
Tout de ce pas je m’en irois
Apprendre au moins quelle contrée,
Quel accident tient arrêtée
Nôtre compagne au pied leger ;
Car à l’égard du cœur il en faut mieux juger.
Le Corbeau part à tire d’aîle.
Il apperçoit de loin l’imprudente Gazelle
Prise au piege et se tourmentant.
Il retourne avertir les autres à l’instant.
Car de lui demander quand, pourquoi, ni comment,
Ce malheur est tombé sur elle.
Et perdre en vains discours cet[1] utile moment,

  1. Maint, dans les Ouvrages de prose et de poësie.