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FABLES CHOISIES.

Mon sujet est petit, cet accessoire est grand.
Je pourrois l’appliquer à certain Conquerant
Qui tout seul deconcerte une Ligue à cent têtes.
Ce qu’il n’entreprend, pas, et ce qu’il entreprend
N’est d’abord qu’un secret, puis devient des conquêtes.
En vain l’on a les yeux sur ce qu’il veut cacher,
Ce sont arrêts du sort qu’on ne peut empêcher,
Le torrent à la fin devient insurmontable.
Cent Dieux sont impuissans contre un seul Jupiter.
LOUIS et le destin me semblent de concert
Entraîner l’Univers. Venons à nôtre Fable.
Mere Ecrevisse un jour à sa Fille disoit :
Comme tu vas, bon Dieu ! ne peux tu marcher droit ?
Et comme vous allez vous-même ! dit la Fille.
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut on que j’aille droit quand on y va tortu ?
Elle avoit raison ; la vertu
De tout exemple domestique
Est universelle, et s’applique
En bien, en mal, en tout ; fait des sages, des sots ;
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but ; j’y reviens la methode en est bonne.
Sur tout au métier de Bellone :
Mais il faut le faire à propos.




FABLE XI.
L’AIGLE ET LA PIE.



L’Aigle Reine des airs, avec Margot la Pie,
Differentes d’humeur, de langage, et d’esprit,
Et d’habit,
Traversoient un bout de prairie.
Le hazard les assemble en un coin détourné.
L’Agasse eut peur ; mais l’Aigle aïant fort bien dîné,
La rassure, et lui dit, Allons de compagnie.
Si le Maître des Dieux assez souvent s’ennuie,