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LA VIE

seroit battu ; s’il disoit mieux que le Maistre, il seroit battu encore. Aussi-tost on pressa Xantus de l’affranchir. Le Philosophe resista long-temps. A la fin le Prevost de ville le menaça de le faire de son office et en vertu du pouvoir qu’il en avoit comme Magistrat ; de façon que le Philosophe fut obligé de donner les mains. Cela fait, Esope dit que les Samiens estoient menacez de servitude par ce Prodige ; et que l’Aigle enlevant leur sceau ne signifioit autre chose qu’un Roy puissant qui vouloit les assujettir. Peu de temps aprés, Cresus Roy des Lydiens fit denoncer à ceux de Samos qu’ils eussent à se rendre ses tributaires ; sinon qu’il les y forceroit par les armes. La plus part estoient d’avis qu’on lui obeïst. Esope leur dit que la Fortune presentoit deux chemins aux hommes ; l’un de liberté rude et épineux au commencement, mais dans la suite tres-agreable ; l’autre d’Esclavage dont les commencemens estoient plus aisez, mais la suite laborieuse. C’estoit conseiller assez intelligiblement aux Samiens de défendre leur liberté. Ils renvoyerent l’Ambassadeur de Cresus avec peu de satisfaction. Cresus se mit en estat de les attaquer. L’Ambassadeur luy dit que tant qu’ils auroient Esope avec eux il auroit peine à les reduire à ses volontez, veu la confiance qu’ils avoient au bon sens du Personnage. Cresus le leur envoya demander, avec promesse de leur laisser la liberté s’ils le luy livroient. Les principaux de la Ville trouverent ces conditions avantageuses, et ne crûrent pas que leur repos leur coûtast trop cher quand ils l’acheteroient aux dépens d’Esope. Le Phrygien leur fit changer de sentiment en leur contant que les Loups et les Brebis ayant fait un traité de paix, celles-cy donnerent leurs Chiens pour ostages. Quand elles n’eurent plus de défenseurs, les Loups les étranglerent avec moins de peine qu’ils ne faisoient. Cet Apologue fit son effet : les Samiens prirent une deliberation toute contraire à celle qu’ils avoient prise. Esope voulut toutefois aller vers Cresus, et dit