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FABLES CHOISIES.


Dois-je representer dans ces Vers une Belle,
Qui douce en apparence, et toutefois cruelle,
Va se joüant des cœurs que ses charmes ont pris,
Comme le Chat de la Souris ?

Prendrai-je pour sujet les jeux de la Fortune ?
Rien ne lui convient mieux, et c’est chose commune
Que de lui voir traiter ceux qu’on croit ses amis,
Comme le Chat fait la Souris.

Introduirai-je un Roi, qu’entre ses favoris
Elle respecte seul ; Roi qui fixe sa rouë,
Qui n’est point empêché d’un monde d’Ennemis,
Et qui des plus puissans quand il luy plaît se jouë,
Comme le Chat de la Souris ?

Mais insensiblement, dans le tour que j’ai pris,
Mon dessein se rencontre ; et si je ne m’abuse
Je pourrois tout gâter par de plus longs recits.
Le jeune Prince alors se joûroit de ma Muse,
Comme le Chat de la Souris.




FABLE V.
LE VIEUX CHAT ET LA JEUNE SOURIS.



Une jeune Souris de peu d’experience,
Crut fléchir un vieux Chat implorant sa clemence,
Et païant de raisons le Raminagrobis.
Laissez-moi vivre ; une Souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis ?
Affamerois-je[1], à vôtre avis,

  1. Affameray-je, dans Les Œuvres postumes.