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FABLES CHOISIES.




FABLE IV.
LES DEUX CHÉVRES.



Dés que les Chévres ont brouté,
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune ; elles vont en voïage
Vers les endroits du pâturage
Les moins frequentez des humains.
Là s’il est quelque lieu sans route et sans chemins,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C’est où ces Dames vont promener leurs caprices[1] ;
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
Deux Chèvres donc s’émancipant,
Toutes deux aïant pate blanche,
Quiterent les bas prez[2], chacune de sa part.
L’une vers l’autre alloit pour quelque bon hazard.
Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche ;
Deux Belettes à peine auroient passé de front
Sur ce pont :
D’ailleurs l’onde rapide et le ruisseau profond

  1. Les Chevres ont une proprieté,
    C’est qu’ayant fort long-temps brouté
    Elles prennent l’essor, et s’en vont en voyage
    Vers les endroits du pasturage
    Inaccessibles aux Humains.
    Est-il quelque lieu sans chemins,
    Quelque Rocher ; un Mont pendant en precipices,
    Mesdames s’en vont là promener leurs caprices.

    (Mercure galant, février 1691.)
    Les Œuvres postumes présentent la même leçon avec quelques lieux au pluriel, au sixième vers, et Rocher ou Mont au septième.
  2. Certain pré, dans le Mercure galant et Les Œuvres postumes.