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FABLES CHOISIES.

D’insulter ainsi nôtre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats. Entrant lors au combat
Il croque l’étranger ; Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette reflexion fit aussi croquer l’autre.
Quelle Morale puis-je inferer de ce fait ?
Sans cela toute Fable est un œuvre imparfait.
J’en croi voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse.
Prince, vous les aurez incontinent trouvez :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses Sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.




FABLE III.
DU THESAURISEUR ET DU SINGE.



Un Homme accumuloit. On sçait que cette erreur
Va souvent jusqu’à la fureur[1],
Celui-ci ne songeoit que Ducats et Pistoles.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu’ils sont frivoles.
Pour seureté de son Tresor
Nôtre Avare habitoit un lieu dont Amphitrite
Défendoit aux voleurs de toutes parts rabord.
Là d’une volupté, selon moi fort petite.
Et selon lui fort grande, il entassoit toûjours.
Il passoit les nuits et les jours
A compter, calculer, supputer sans relâche ;
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche.
Car il trouvoit toûjours du mécompte à son fait :
Un gros Singe plus sage, à mon sens, que son maître,

  1. Un homme accumulant, (on sçait que cette ardeur
    Va toûjours jusqu’à la fureur).

    (Mercure galant, mars 1691, et Les Œuvres postumes.)