Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
FABLES CHOISIES.

Nous ne conversons plus qu’avec des Ours affreux,
Découragez de mettre au jour des malheureux,
Et de peupler pour Rome un païs qu’elle opprime.
Quant à nos enfans déja nez
Nous soûhaitons de voir leurs jours bientôt bornez :
Vos Prêteurs au mal-heur nous font joindre le crime.
Retirez-les, ils ne nous apprendront
Que la mollesse, et que le vice.
Les Germains comme eux deviendront
Gens de rapine et d’avarice.
C’est tout ce que j’ay veu dans Rome à mon abord :
N’a-t-on point de present à faire ?
Point de pourpre à donner ? c’est en vain qu’on espere
Quelque refuge aux loix : encor leur ministere
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.
Je finis. Punissez de mort
Une plainte un peu trop sincere.
À ces mots il se couche, et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon sens, l’éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.
On le créa Patrice ; et ce fut la vengeance,
Qu’on crut qu’un tel discours méritoit. On choisit
D’autres Preteurs, et par écrit
Le Senat demanda ce qu’avoit dit cét homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sçeut pas long-temps à Rome
Cette éloquence entretenir.




VIII.
LE VIEILLARD, ET LES TROIS JEUNES
HOMMES.



Un octogénaire plantoit.
Passe encore de bastir ; mais planter à cét âge !
Disoient trois jouvenceaux enfans du voisinage,