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FABLES CHOISIES.

Le Maistre ne trouva de recours qu’à crier
Contre ses gens, son chien, c’est l’ordinaire usage.
Ah maudit animal qui n’es bon qu’à noyer,
Que n’avertissois-tu dés l’abord du carnage ?
Que ne l’évitiez-vous ? c’eust esté plûtost fait.
Si vous Maistre et Fermier à qui touche le fait,
Dormez sans avoir soin que la porte soit close,
Voulez-vous que moy chien qui n’ay rien à la chose,
Sans aucun interest je perde le repos ?
Ce chien parloit tres-apropos :
Son raisonnement pouvoit estre
Fort bon dans la bouche d’un Maistre ;
Mais n’estant que d’un simple chien,
On trouva qu’il ne valoit rien.
On vous sangla le pauvre drille.
Toy donc, qui que tu sois, ô pere de famille,
(Et je ne t’ay jamais envié cét honneur,)
T’attendre aux yeux d’autruy, quand tu dors, c’est erreur.
Couche-toy le dernier, et voy fermer ta porte.
Que si quelque affaire t’importe,
Ne la fais point par procureur.




IV.
LE SONGE D’UN HABITANT DU MOGOL.



Jadis certain Mogol vid en songe un Vizir,
Aux champs Elisiens possesseur d’un plaisir,
Aussi pur qu’infini, tant en prix qu’en durée ;
Le mesme songeur vid en une autre contrée
Un Hermite entouré de feux,
Qui touchoit de pitié mesme les mal-heureux.
Le cas parut étrange, et contre l’ordinaire,
Minos en ces deux morts sembloit s’estre mépris.