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FABLES CHOISIES.




XIII.
LES DEUX AVANTURIERS
ET LE TALISMAN.



Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
Je n’en veux pour témoin qu’Hercule et ses travaux.
Ce Dieu n’a guere de rivaux :
J’en vois peu dans la Fable, encor moins dans l’Histoire.
En voicy pourtant un que de vieux Talismans
Firent chercher fortune au pays des Romans.
Il voyageoit de compagnie.
Son camarade et luy trouverent un poteau.
Ayant au haut cet écriteau,
Seigneur Avanturier, s’il te prend quelque envie
De voir ce que n’a veu nul Chevalier errant,
Tu n’as qu’à passer ce torrent,
Puis prenant dans tes bras un Elephant de pierre,
Que tu verras couché par terre,
Le porter d’une haleine au sommet de ce mont
Qui menace les Cieux de son superbe front.
L’un des deux Chevaliers seigna du nez. Si l’onde
Est rapide autant que profonde,
Dit-il, et supposé qu’on la puisse passer,
Pourquoy de l’Elephant s’aller embarrasser ?
Quelle ridicule entreprise !
Le sage l’aura fait par tel art et de guise,
Qu’on le pourra porter peut-estre quatre pas :
Mais jusqu’au haut du mont, d’une haleine ? il n’est pas
Au pouvoir d’un mortel, à moins que la figure
Ne soit d’un Eléphant nain, pigmée, avorton,
Propre à mettre au bout d’un baston :