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FABLES CHOISIES.

Changer de lieu, dit-il. Comment le ferons-nous ?
N’en soyez point en soin : je vous porteray tous
L’un apres l’autre en ma retraite.
Nul que Dieu seul et moy n’en connoist les chemins,
Il n’est demeure plus secrete.
Un Vivier que nature y creusa de ses mains,
Inconnu des traitres humains,
Sauvera vostre republique.
On le crut. Le peuple aquatique
L’un apres l’autre fut porté
Sous ce rocher peu frequenté.
Là Cormoran le bon apostre
Les ayant mis en un endroit
Transparent, peu creux, fort étroit,
Vous les prenoit sans peine, un jour l’un, un jour l’autre.
Il leur apprit à leurs dépens,
Que l’on ne doit jamais avoir de confiance
En ceux qui sont mangeurs de gens.
Ils y perdirent peu ; puis que l’humaine engeance
En auroit aussi bien croqué sa bonne part ;
Qu’importe qui vous mangé ? homme ou Loup ; toute panse
Me paroist une à cet égard ;
Un jour plustost, un jour plus tard,
Ce n’est pas grande difference.




IV.
L’ENFOUISSEUR ET SON COMPERE.



Un Pinsemaille avoit tant amassé,
Qu’il ne sçavoit où loger sa finance,
L’avarice compagne et sœur de l’ignorance,
Le rendoit fort embarassé
Dans le choix d’un dépositaire ;
Car il en vouloit un : Et voicy sa raison.
L’objet tente ; il faudra que ce monceau s’altere,
Si je le laisse à la maison :