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LIVRE QUATRIÉME (X).




FABLE I.
L’HOMME ET LA COULEUVRE.



Un homme vid une Couleuvre.
Ah ! méchante, dit-il, je m’en vais faire une œuvre
Agreable à tout l’univers.
A ces mots l’animal pervers
(C’est le serpent que je veux dire,
Et non l’homme, on pourroit aisément s’y tromper.)
A ces mots le serpent se laissant attraper
Est pris, mis en un sac, et ce qui fut le pire
On resolut sa mort, fust-il coupable ou-non.
Afin de le payer toutefois de raison,
L’autre luy fit cette harangue.
Symbole des ingrats, estre bon aux méchans
C’est estre sot, meurs donc : ta colere et tes dents
Ne me nuiront jamais. Le Serpent en sa langue
Reprit du mieux qu’il put : S’il faloit condamner
Tous les ingrats qui sont au monde
A qui pourroit-on pardonner ?
Toy-mesme tu te fais ton procés. Je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toy.