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LIVRE NEUVIÉME.




XVI.
LE TRESOR, ET LES DEUX HOMMES.



Un homme n’ayant plus ny crédit, ny resource,
Et logeant le Diable en sa bourse.
C’est à dire, n’y logeant rien,
S’imagina qu’il feroit bien
De se pendre, et finir luy-mesme sa misere ;
Puis qu’aussi bien sans luy la faim le viendroit faire,
Genre de mort qui ne duit pas
A gens peu curieux de gouster le trépas.
Dans cette intention une vieille mazure
Fut la scene où devoit se passer l’aventure.
Il y porte une corde ; et veut avec un clou
Au haut d’un certain mur attacher le licou.
La muraille vieille et peu forte,
S’ébranle aux premiers coups, tombe avec un tresor.
Nostre désesperé le ramasse, et l’emporte ;
Laisse-là le licou, s’en retourne avec l’or ;
Sans compter ; ronde ou non, la somme plût au sire.
Tandis que le galant à grands pas se retire,
L’homme au tresor arrive et trouve son argent
Absent.
Quoy, dit-il, sans mourir je perdray cette somme ?
Je ne me pendray pas ? et vraiment si feray,
Ou de corde je manqueray.
Le lacs estoit tout prest, il n’y manquoit qu’un homme.
Celuy-cy se l’attache, et se pend bien et beau.
Ce qui le consola peut-estre,
Fut qu’un autre eût pour luy fait les frais du cordeau.
Aussi-bien que l’argent le licou trouva maitre.

L’avare rarement finit ses jours sans pleurs :
Il a le moins de part au trésor qu’il enserre.