Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
FABLES CHOISIES.

Et puis la vie ; ils firent tant
Qu’on les vid crever à l’instant.
L’homme est ainsi basti ; Quand un sujet l’enflâme
L’impossibilité disparoist à son ame.
Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ?
S’outrant pour acquerir des biens ou de la gloire ?
Si j’arrondissois mes estats !
Si je pouvois remplir mes coffres de ducats !
Si j’apprenois l’hebreu, les sciences, l’histoire !
Tout cela c’est la mer à boire ;
Mais rien à l’homme ne suffit :
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit
Il faudroit quatre corps ; encor loin d’y suffire
A my chemin je crois que tous demeureroient :
Quatre Mathusaleras bout à bout ne pourroient
Mettre à fin ce qu’un seul desire.




XXVI.
DEMOCRITE ET LES ABDERITAINS.



Que j’ay toujours hay les pensers du vulgaire !
Qu’il me semble profane, injuste, et temeraire ;
Mettant de faux milieux entre la chose et luy,
Et mesurant par soy ce qu’il void en autruy !
Le maistre d’Epicure en fit l’apprentissage.
Son pays le crut fou : Petits esprits ! Mais quoy ?
Aucun n’est prophete chez soy.
Ces gens estoient les fous, Democrite le sage.
L’erreur alla si loin, qu’Abdere deputa
Vers Hipocrate, et l’invita,
Par lettres et par ambassade,
A venir restablir la raison du malade.
Nostre concitoyen, disoient-ils en pleurant,