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LIVRE HUITIÉME.




XXV.
LES DEUX CHIENS ET L’ASNE MORT.



Les vertus devroient estre sœurs,
Ainsi que les vices sont freres :
Dés que l’un de ceux-cy s’empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file, il ne s’en manque gueres ;
J’entends de ceux qui n’estant pas contraires
Peuvent loger sous mesme toit.
A l’égard des vertus, rarement on les void
Toutes en un sujet eminemment placées
Se tenir par la main sans estre dispersées.
L’un est vaillant, mais prompt ; l’autre est prudent, mais froid.
Parmy les animaux le Chien se pique d’être
Soigneux et fidele à son maistre ;
Mais il est sot, il est gourmand :
Témoin ces deux mâtins qui dans l’éloignement
Virent un Asne mort qui flotoit sur les ondes.
Le vent de plus en plus l’éloignoit de nos Chiens.
Amy, dit l’un, tes yeux sont meilleurs que les miens.
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes.
J’y crois voir quelque chose : Est-ce un Bœuf, un Cheval ?
Hé qu’importe quel animal ?
Dit l’un de ces mastins ; voila toujours curée.
Le point est de l’avoir ; car le trajet est grand ;
Et de plus il nous faut nager contre le vent.
Beuvons toute cette eau ; nostre gorge alterée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bien-tost à sec, et ce sera
Provision pour la semaine.
Voila mes Chiens à boire ; ils perdirent l’haleine,