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FABLES CHOISIES.




XXIV.
L’EDUCATION.



Laridon et Cesar, freres dont l’origine
Venoit de chiens fameux, beaux, bienfaits et hardis,
A deux maistres divers échûs au temps jadis,
Hantoient, l’un les forests, et l’autre la cuisine[1].
Ils avoient eu d’abord chacun un autre nom :
Mais la diverse nourriture
Fortifiant en l’un cette heureuse nature,
En l’autre l’alterant, un certain marmiton
Nomma celuy-cy Laridon :
Son frere ayant couru mainte haute avanture,
Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abatu,
Fut le premier Cesar que la gent chienne ait eu.
On eut soin d’empescher qu’une indigne maistresse
Ne fist en ses enfans dégenerer son sang :
Laridon negligé témoignoit sa tendresse
A l’objet le premier passant.
Il peupla tout de son engeance :
Tourne-broches par lüy rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyans les hazards,
Peuple antipode des Cesars.
On ne suit pas toûjours ses ayeux ny son pere :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu’on dégenere ;
Faute de cultiver la nature et ses dons,
O combien de Cesars deviendront Laridons !

  1. Ce vers est ainsi dans le texte :
    L’un hantoit les forests, et l’autre la cuisine.
    Il est corrigé dans l’Errata.