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FABLES CHOISIES.

Vostre digne moitié couchée entre des fleurs,
Tout prés d’ici m’est apparuë ;
Et je l’ay d’abord reconnuë,
Amy, m’a-t-elle dit, garde que ce convoy,
Quand je vais chez les Dieux, ne t’oblige à des larmes.
Aux champs Elisiens j’ay goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moy.
Laisse agir quelque-temps le desespoir du Roy.
J’y prends plaisir. A peine on eut oüi la chose,
Qu’on se mit à crier, Miracle, apotheose.
Le Cerf eut un present, bien loin d’estre puny.
Amusez les Rois par des songes,
Flatez-les, payez-les d’agreables mensonges,
Quelque indignation dont leur cœur soit remply,
Ils goberont l’appast, vous serez leur amy.




XV.
LE RAT ET L’ELEPHANT.



Se croire un personnage, est fort commun en France.
On y fait l’homme d’importance,
Et l’on n’est souvent qu’un Bourgeois :
C’est proprement le mal François.
La sotte vanité nous est particuliere.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre maniere.
Leur orgueil me semble en un mot
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nostre
Qui sans doute en vaut bien un autre.
Un Rat des plus petits voyoit un Elephant
Des plus gros, et railloit le marcher un peu lent
De la beste de haut parage,
Qui marchoit à gros équipage.
Sur l’animal à triple étage