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FABLES CHOISIES.

Que nous avons mouche appellé.
Un jour que le vieillard dormoit d’un profond somme.
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l’Ours au desespoir, il eut beau la chasser.
Je t’attraperay bien, dit-il. Et voicy comme.
Aussi-tost fait que dit ; le fidele émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la teste à l’homme en écrazant la mouche.
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n’est si dangereux qu’ un ignorant amy ;
Mieux vaudroit un sage ennemy.




XI.
LES DEUX AMIS.



Deux vrais amis vivoient au Monomotapa :
L’un ne possedoit rien qui n’apartinst à l’autre :
Les amis de ce païs-là
Valent bien dit-on ceux du nostre.
Une nuit que chacun s’occupoit au sommeil,
Et mettait à profit l’absence du Soleil,
Un de nos deux amis sort du lit en alarme :
Il court chez son intime, éveille les valets :
Morphée avoit touché le seüil de ce palais.
L’amy couché s’estonne, il prend sa bourse, il s’arme ;
Vient trouver l’autre, et dit ; Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paroissiez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme ;
N’auriez-vous point perdu tout vostre argent au jeu ?
En voicy : s’il vous est venu quelque querelle,
J’ay mon épée, allons ; Vous ennuyez-vous point
De coucher toûjours seul ? une esclave assez belle
Estoit à mes costez, voulez-vous qu’on l’appelle ?