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LIVRE HUITIÉME.

Qui n’en estoient pas revenus,
Et que depuis cent ans sous l’abysme avoient veus
Les anciens du vaste empire.




IX.
LE RAT ET L’HUITRE.



Un Rat hoste d’un champ, Rat de peu de cervelle,
Des Lares paternels un jour se trouva sou.
Il laisse-là le champ, le grain, et la javelle,
Va courir le païs, abandonne son trou.
Si-tost qu’il fut hors de la case,
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voicy le Caucase :
La moindre Taupinée estoit mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thetis sur la rive
Avoit laissé mainte Huitre ; et nostre Rat d’abord
Crût voir en les voyant des vaisseaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon pere estoit un pauvre sire :
Il n’osoit voyager, craintif au dernier point :
Pour moy, j’ai déjà veu le maritime empire :
J’ay passé les deserts, mais nous n’y bûmes point[1].
D’un certain magister le Rat tenoit ces choses,
Et les disoit à travers champs ;
N’estant point de ces Rats qui les livres rongeans
Se font sçavans jusques aux dents.

  1. C’est un souvenir du dialogue de Picrochole avec ses capitaines : « Que boyrons nous par ces desers ?... Nous (dirent ilz) auons ia donné ordre à tout… Voyre mais, dist il, nous ne beumes poinct frais. » (Rabelais, Gargantua, xxxiii.)