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FABLES CHOISIES.

Un troisiéme au port arrivant,
Rien n’eut cours ny debit. Le luxe et la folie
N’estoient plus tels qu’auparavant.
Enfin ses facteurs le trompant,
Et luy-mesme ayant fait grand fracas, chere lie,
Mis beaucoup en plaisirs, en bastimens beaucoup,
Il devint pauvre tout d’un coup.
Son amy le voyant en mauvais équipage,
Luy dit ; d’où vient cela ? de la Fortune, helas !
Consolez-vous, dit l’autre, et s’il ne luy plaist pas
Que vous soyez heureux ; tout au moins soyez sage.
Je ne sçais s’il crut ce conseil ;
Mais je sçais que chacun impute en cas pareil
Son bon-heur à son industrie,
Et si de quelque échec nostre faute est suivie,
Nous disons injures au sort.
Chose n’est icy plus commune :
Le bien nous le faisons, le mal c’est la Fortune,
On a toûjours raison, le destin toûjours tort.




XIV.
LES DEVINERESSES.



C’est souvent du hazard que naît l’opinion ;
Et c’est l’opinion qui fait toûjours la vogue.
Je pourrois fonder ce prologue
Sur gens de tous estats ; tout est prévention,
Cabale, entestement, point ou peu de justice :
C’est un torrent ; qu’y faire ? Il faut qu’il ait son cours,
Cela fut et sera toûjours.
Une femme à Paris faisoit la Pythonisse.
On l’alloit consulter sur chaque évenement ;
Perdoit-on un chifon, avoit-on un amant,