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FABLES CHOISIES.





X.
LES DEUX COQS.



Deux Coqs vivoient en paix ; une Poule survint,
Et voila la guerre allumée,
Amour tu perdis Troye, et c’est de toy que vint
Cette querelle envenimée.
Où du sang des Dieux mesme on vid le Xante teint.
Long-temps entre nos Coqs le combat se maintint.
Le bruit s’en répandit par tout le voisinage.
La gent qui porte creste au spectacle accourut.
Plus d’une Heleine au beau plumage
Fut le prix du vainqueur ; le vaincu disparut.
Il alla se cacher au fond de sa retraite.
Pleura sa gloire et ses amours.
Ses amours qu’un rival tout fier de sa défaite
Possedoit à ses yeux. Il voyoit tous les jours
Cet objet rallumer sa haine et son courage.
Il aiguisoit son bec, batoit l’air et ses flancs ;
Et s’exerçant contre les vents
S’armoit d’une jalouse rage.
Il n’en eut pas besoin. Son vainqueur sur les toits
S’alla percher, et chanter sa victoire.
Un Vautour entendit sa voix ;
Adieu les amours et la gloire.
Tout cet orgueil perit sous l’ongle du Vautour.
Enfin par un fatal retour
Son rival autour de la Poule
S’en revint faire le coquet :
Je laisse à penser quel caquet,
Car il eut des femmes en foule.
La Fortune se plaist à faire de ces coups ;
Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.
Défions-nous du sort, et prenons garde à nous
Apres le gain d’une bataille.