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FABLES CHOISIES.

Par leur exemple et leurs sons éclatans
Font que Venus est en nous réveillée ;
Ny ceux encor que la Mere d’Amour
Met à son char : mais le peuple Vautour
Au bec retors, à la tranchante serre.
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang ; je n’exagere point.
Si je voulois conter de poinct en poinct
Tout le détail, je manquerois d’haleine.
Maint chef périt, maint heros expira ;
Et sur son roc Prométhée espera
De voir bien-tost une fin à sa peine.
C’estoit plaisir d’observer leurs efforts ;
C’estoit pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adresse, et ruses, et surprises.
Tout s’employa : Les deux troupes éprises
D’ardent courroux n’épargnoient nuls moyens
De peupler l’air que respirent les ombres ;
Tout element remplit de citoyens
Le vaste enclos qu’ont les royaumes sombres.
Cette fureur mit la compassion
Dans les esprits d’une autre nation
Au col changeant, au cœur tendre et fidéle.
Elle employa sa mediation
Pour accorder une telle querelle.
Ambassadeurs par le peuple Pigeon
Furent choisis, et si bien travaillerent,
Que les Vautours plus ne se chamaillerent.
Ils firent treve, et la paix s’ensuivit.
Helas ! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur auroit deu rendre grace.
La gent maudite aussi-tost poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens,
D’accommoder un peuple si sauvage.
Tenez toûjours divisez les méchans ;
La seureté du reste de la terre
Dépend de là : Semez entre eux la guerre,