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FABLES CHOISIES.

Grace à Dieu je passe les nuits
Sans chagrin, quoy qu’en solitude.
La belle se sceut gré de tous ces sentimens.
L’âge la fit déchoir ; adieu tous les amans.
Un an se passe et deux avec inquietude.
Le chagrin vient en suite ; elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques jeux, puis l’amour ;
Puis ses traits choquer et déplaire ;
Puis cent sortes de fards. Ses soins ne pûrent faire
Qu’elle échapât au temps cet insigne larron :
Les ruines d’une maison
Se peuvent reparer ; que n’est cet avantage
Pour les ruines du visage !
Sa preciosité changea lors de langage.
Son miroir luy disoit, prenez viste un mari :
Je ne sçais quel desir le luy disoit aussi ;
Le desir peut loger chez une precieuse :
Celle-cy fit un choix qu’on n’auroit jamais crû.
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru.




V.
LES SOUHAITS.



Il est au Mogol des folets
Qui font office de valets,
Tiennent la maison propre, ont soin de l’équipage,
Et quelquefois du jardinage.
Si vous touchez à leur ouvrage,
Vous gastez tout. Un d’eux prés du Gange autrefois
Cultivoit le jardin d’un assez bon Bourgeois.
Il travailloit sans bruit, avoit beaucoup d’adresse,