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FABLES CHOISIES.

Elle en dit tant, que Monsieur à la fin
Lassé d’entendre un tel lutin,
Vous la renvoye à la campagne
Chez ses parens. La voila donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons
Avec les gardeurs de cochons.
Au bout de quelque-temps qu’on la crut adoucie,
Le mary la reprend. Eh bien qu’avez-vous fait ?
Comment passiez-vous vostre vie ?
L’innocence des champs est-elle vôtre fait ?
Assez, dit-elle ; mais ma peine
Estoit de voir les gens plus paresseux qu’icy :
Ils n’ont des troupeaux nul soucy.
Je leur sçavois bien dire, et m’attirois la haine
De tous ces gens si peu soigneux.
Eh, Madame, reprit son époux tout à l’heure,
Si vostre esprit est si hargneux
Que le monde qui ne demeure
Qu’un moment avec vous, et ne revient qu’au soir,
Est déja lassé de vous voir,
Que feront des valets qui toute la journée
Vous verront contre eux déchaînée ?
Et que pourra faire un époux
Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous ?
Retournez au village : adieu ; si de ma vie
Je vous rappelle, et qu’il m’en prenne envie,
Puissay-je chez les morts avoir pour mes pechez,
Deux femmes comme vous sans cesse à mes costez.




III.
LE RAT QUI S’EST RETIRÉ DU MONDE.



Les Levantins en leur legende
Disent qu’un certain Rat, las des soins d’icy-bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.